L’œuvre de Toni Morrison est une œuvre sombre et puissante. Excavant les douleurs de la communauté afro-américaine héritées de l’histoire, son œuvre dans son ensemble recèle de cette « inquiétante étrangeté » symptomatique des romans dits « fantastiques ». Véritables incursions dans la mémoire tourmentée d’une « minorité » qui n’a pas pu faire son deuil, chacun des romans semblent procéder à une sorte d’exorcisme-thérapie, sans lequel objectivement, il ne peut être possible de vivre le présent, et d’envisager l’avenir. C’est pourquoi, nous étudierons les phénomènes de revenances et de hantises, obscures et effrayants au sein de cette œuvre unique. Plus particulièrement dans Beloved, un de ses romans les plus connus, qui à travers la figure d’un fantôme revenu hanter sa mère, révèle une des réalités les plus dures de notre histoire humaine et étendue, l’horreur de l’esclavage. Par la peur et l’angoisse, manières déguisées de faire mémoire et de déterrer les vieux fantômes du passé _ car bien plus que les vivants, enracinés ou ligotés dans leurs secrets_ les fantômes ont des choses à dire que leur simple apparition suffit à clamer. Quand la mémoire est « empêchée », et que les corps mutilés tendent vers l’anéantissement, le personnage du fantôme donne chair, corps à la mémoire, corps hanté certes, mais bien décidé à ne pas se laisser sombrer dans l’« oubli ».